Babs Wessenar © 

Aimons, chantons, buvons !

Airs sérieux et à boire des compositrices des XVIIe et XVIIIe siècles

« […] C’est donc a vous, ma Fille, a qui je dédie mes Airs, je prétends que vous les chantiez jusqu’à ce que vous ayez appris à les bien chanter, & les bien accompagner ; je veux mesme que vous apreniez ce que c’est que de composer un Air dans les regles, vous en trouverez icy de tous les differens caracteres, & il ne tiendra qu’à vous de vous rendre capable dans ce bel Art, afin qu’on puisse dire un jour en voyant vos Ouvrages:  "C’est la Fille de SICARD" »


Ces quelques mots, publiés par Jean Sicard dans le Douzième livre d'airs sérieux et à boire à 2 & à 3 parties en1678 préfigurent presque ironiquement la publication de plusieurs airs de Mademoiselle Sicard chez Ballard, parfois considérée comme la première femme à publier de la musique en son nom en France.


Cependant, si l’histoire tend à nous le faire croire, elle est bien loin d’être la seule femme à publier son œuvre musicale en France à la période baroque. Alors que l’aujourd’hui très célèbre Élisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) publie son premier livre de Pièces de clavecin en 1687, Françoise-Charlotte de Saint-Nectaire (1679-1745), dite La Menetou fait paraître 1691 un Livre d’airs sérieux pour voix et basse continue chez Ballard, devenant ainsi la plus jeune compositrice publiant chez l’éditeur. C’est aussi à ce moment que Le Concert de Mademoiselle Laurent est publié par Philidor, témoignage de la musique que l’on pouvait alors entendre à la cour de Versailles. Une trentaine d’années plus tard, Mademoiselle Buttier et Mademoiselle Guesdon de Presles publient chacune dans les Mélanges de musique latine, française et italienne chez Ballard, alors même que Mademoiselle Duval publiera en 1736 Les Génies, deuxième opéra écrit par une compositrice donné à l’Opéra de Paris dans l’histoire de la musique, après de Céphale et Procris d’Elisabeth Jacquet de la Guerre en 1694. Julie Pinel quant à elle publie en 1737, à l’instar de La Ménetou, un Nouveau recueil d’airs sérieux et à boire avec le privilège du Roy.


Si ces femmes, parfois issues de grandes familles de musiciens, souvent reconnues par leurs contemporains comme de grandes clavecinistes et pédagogues (Julie Pinel, Élisabeth Jacquet de la Guerre, Mademoiselle Duval) ou encore célèbres chanteuses et actrices (Mademoiselle Guédon de Presle) ont été louées de leur vivant, les quelques siècles qui nous en séparent ont choisi de les faire taire. Leur œuvre vocale, sous forme ici d’airs de cour et d’extraits d’opéras et de cantates fait pourtant partie intégrante, à la période baroque, des salons bourgeois. Ils y sont chantés et joués dans un cadre privé ou lors de réceptions, mais sont aussi des exemples pour l’éducation musicale de chacun. Publiés par Ballard chaque saison, les Livres d’airs sérieux et à boire ou encore les Mélanges de musique tissent la toile de fond de la vie musicale française des 17 e et 18 e siècles.


Ce programme se propose de faire découvrir ou redécouvrir les œuvres de ces compositrices dans un voyage quasi-initiatique, éloge de la fête, des passions et de la musique, mêlé de désespoirs amoureux, d’introspection et de souvenir, qui s’en retourne à une ivresse parfois plus amère, teintée des amours déçues.

Iris Tocabens, Viole de gambe

Claire Meusnier, Clavecin

Jeanne Bernier, Soprano